La maladie la mort
Œuvres : figure with meat de Francis bacon, 21 grammes
Intro :
La maladie et la mort sont des choses pour lesquelles nous sommes « destinées » même si aujourd’hui la médecine retarde leur arrivée. La mort est notre seule certitude de l’avenir pourtant nous vivons comme si elle n’allait jamais arrivée. D’abord je vais évoquer l’insouciance de la mort par la pièce de théâtre « le roi se meurt » d’Ionesco, et par des exemples du film 21 grammes
L’insouciance de la mort
Le roi Bérenger 1er règne sur un territoire indéterminé. Au lever du rideau, le Garde annonce solennellement la Cour. Le roi Bérenger 1er entre dans la salle du trône et en sort immédiatement. Il est suivi des deux reines, Marguerite (première épouse du roi) et Marie (seconde épouse du roi, sa préférée), de Juliette (femme de ménage et infirmière) et du Médecin qui occupe diverses fonctions.
Cette salle du trône est sale et inconfortable. Il y fait froid. Le chauffage refuse de fonctionner, le soleil se rebelle et les murs du palais se fissurent.
La reine Marie se lamente de cette dégradation, ce qui ne plait guère à la reine Marguerite qui lui reproche sa frivolité et sa désinvolture.
Il est devenu nécessaire d’annoncer au roi que la fin de son règne est proche. La reine Marie refuse l’évidence et ose croire que le roi pourra échapper à son destin.
La reine Marguerite fait preuve d’une froide lucidité : le sol se dérobe, le royaume ne dispose plus d’une armée digne de ce nom, la démographie est en berne et la population vieillit, le roi est malade...
Le Médecin est formel, il n’est plus possible de l’opérer. Même les astres sont contre le royaume : le drame est inévitable.
Bérenger Ier entre dans la salle du trône les pieds nus. Il se plaint de l’état de l’Univers, du Royaume, et aussi de sa santé. Il consulte son médecin qui ne lui laisse aucun espoir.
Le roi refuse d’admettre l’évidence, même s’il reconnaît que tout ne va plus aussi bien que par le passé. Il croit en son pouvoir : « Je mourrai dit-il quand je voudrai, je suis le roi, c’est moi qui décide »
Toute la cour, à l’exception de la reine Marie, s’emploie à lui décrire son déclin irréversible. On lui rappelle la dégradation de son pouvoir, la détérioration de ses forces physiques, la fragilité de sa couronne et de son sceptre. Il tente en vain de commander la nature, les choses et les êtres qui l’entourent.
La reine Marguerite annonce alors le compte à rebours fatidique : « Tu vas mourir dans une heure vingt-cinq minutes ».
Le garde indique que la funèbre cérémonie va commencer.
Comme le roi nous avons tendance à faire comme si la mort n’existait pas, tant qu’on est jeune on a le temps d’y penser. D’ailleurs les médias nous envoient l’image d’une jeunesse éternelle. L’extrait suivant caricature l’idée de ne pas avoir le temps :
Le roi : « je suis monté sur le trône il y a deux minute et demi »
Marguerite : « il y a deux cent soixante-dix-sept ans et trois mois
Le roi : « Pas eu le temps de dire ouf ! Je n’ai pas eu le temps de connaître la vie
On remet toujours tout à plus tard pour se faciliter les choses mais quand tout arrive d’un coup il est justement trop tard. Le fait de fuir la mort n’est t’il pas la preuve d’une crainte ? Quand le roi dit qu’il décide de sa mort, il refuse d’accepter qu’elle est contre sa volonté. Ne pas accepter la condition humaine c’est ne pas s’assumer en tant qu’homme. Et comment résumer la crainte de la mort ? Par une vie qui n’a servi n’a rien ? Le roi qui se meurt voit son royaume mourir et il se voit disparaître, il a simplement peur de n’être plus, lui qui avait tant de présence, de reconnaissance et de pouvoir sur le monde. En réalisant sa mort il réalise la perte de sa puissance. Pour tester si sa puissance est encore bonne, le roi donne des ordres aux reines et à tout le monde, bizarrement ils ont du mal à obéir. De plus les ordres deviennent de plus en plus stupides
Le roi : « Que la couronne de Marguerite tombe à terre, que sa couronne tombe » C’est la couronne du roi qui tombe de nouveau à terre
Marguerite : « je vais te la remettre va »
Le roi : « Merci. Qu’est ce que c’est que cette sorcellerie ? Comment échapper vous à mon pouvoir ? Ne penser pas que cela va continuer. Je trouverai bien la cause de ce désordre. »
La citation suivante de jules Lagneau montre notre impuissance contre le temps et la mort : « L’étendue est la marque de ma puissance, le temps est la marque de mon impuissance » Nous pouvons aménager l’espace, le modifier, le conquérir mais nous ne pouvons rien contre l’irréversibilité et l’imprévisibilité du temps et de la mort.
Cependant on ne peut pas nier la mort puisqu’elle est là à chaque instant, des accidents, des maladies graves ou la mort de proche. Le décès du roi remet en question le statut du roi divin. La reine Marie n’arrive pas à faire le deuil de son mari, vivre dans le passé c’est de nouveau fuir la réalité ; à la fin elle passe un moment nostalgique avec le roi. Quel sens donne la mort à la vie ? Nous sommes si habituez à prévoir tout à l’avance que nous pensons pouvoir tout contrôler. Nous vivons dans l’habitude. Dans les termes de Nicolas Berdiaef : « La mort est le fait le plus profond et le plus significatif de la vie, qui élève le dernier des mortels au-dessus de la quotidienneté et de la platitude. Elle seule pose la question du sens de la vie. En effet, celle-ci n’a de sens que parce que la mort existe ». . Dans l’œuvre cinématographique de Alejandro Gonzales Inarritu 21 grammes
Mais si au contraire de l’insouciance, la mort nous obsède comme Christina par exemple, elle empêche de vivre. Il y a chez Vauvenargues des aphorismes qui vont dans le sens de l’insouciance, mais avec des justifications très différentes. Ce que rejette Vauvenargues, c’est le fatalisme, le défaitisme d’une rumination constante de la mort : "La pensée de la mort nous trompe, car elle nous fait oublier de vivre". Une constante pensée de la mort ne peut que nous éloigner du courant de la Vie. Un être qui serait obsédé par la pensée de la mort, ne pourrait plus rien faire ici bas. Pour vouloir, il faut donner un sens au futur et si le futur est fermé d'emblée par la mort, on ne peut rien vouloir, rien accomplir. A quoi bon élaborer un quelconque projet, si c'est pour le mettre constamment en balance avec l'idée de la mort? C'est devenir fataliste. Si je dois constamment me représenter ma disparition, ma vie n'est que vanité, pour qu'elle ait un sens, il me faut donc refuser de garder constamment sous les yeux la pensée de la mort. "Pour exécuter de grandes choses, il faut vivre comme si on ne devait jamais mourir".
L’acceptation : savoir vivre et mourir
Dans 21 grammes
Dans la même optique que Sartres : « La croyance au progrès est une doctrine de paresseux. C’est l’individu qui compte sur son voisin pour faire sa besogne. Il n’y a de progrès vrai, c'est-à-dire moral, que dans et par l’individu. » Baudelaire Mon cœur mise à nu
Tour dépend de nous même, il ne faut pas compter sur les autres. Et même si l’on est touché par la maladie ou la mort de proches, il faut accepter, c’est un travail sur soi même.
D’autre part, même si nous savons que nous allons mourir nous ne savons jamais ce qu’est la mort elle-même. L’idée que nous en faisons n’en est qu’une image. C’est la position que prend Gaston Bachelard : « La mort est d’abord une image, elle reste une image. Elle ne peut-être consciente que si elle s’exprime, et elle ne peut s’exprimer que par des métaphores ». En effet, nous ne pouvons pas être morts tant que nous sommes encore conscients et vivant. Comme le dit Wittgenstein : « la mort n’est pas un événement de la vie. La mort ne peut-être vécue ».Tout dépend si nous parlons d’une mort biologique ou d’une mort de la conscience. Parfois il est possible d’être encore conscient et d’être malade : le corps commence à mourir et à se décomposer. Ou le contraire, que les docteurs tiennent mon corps en vie mais que mon esprit n’arrive plus à se connecter. C’est pour cela que l’idée de mort est souvent ambiguë : dois t-on éteindre les machines ou pas ?
Dans l’œuvre ci-jointe de Francis bacon : « figures with meat » nous avons une représentation d’un pape qui cri et qui fond dans l’espace. Derrière lui, il y a la chair d’un bœuf coupé en deux. L’artiste peint sans ébauche ni esquisse. Il suit néanmoins un modèle : le portrait du pape innocent X par Velázquez. Sa représentation expressive, déformée, destructive du pape, s’inspire également d’une photographie qui montre le pape Pie XII dans la sedia gestatoria (chaise à porteur). Elle renforce sa position : celle-ci est encore approfondie ici par la zone noire et l’étroit coffre suggéré par le dessin. La bouche ouverte pour crier rappelle évidemment le célèbre « Le cri » d’Edvard Munch de 1893 qui montre l’angoisse et la dépression de la vie. Le cri de souffrance évoque un symbole pessimiste de l’homme angoissé, perdu face aux horreurs de notre époque. Mais sans vouloir m’attacher au coté critique de la société, le lien sans transition de la chair des deux bœuf prouve la volonté de représenter la mort. Tout d’abord en montrant clairement la matérialité du corps qui se décompose et qui n’est qu’au final un squelette. La couleur froide des os et de la chair, la peau blanche du pape envoie une atmosphère morbide et de répulsion. De plus, même si l’œuvre est figurative, le travail sur la matière n’est pas caché puisque Bacon peint au pinceau, à la brosse et aux doigts sur le dos rugueux d’une toile retravaillée à l’apprêt caractérisant un travail marqué par le geste et intégrant le hasard dans la vision pictural. Le symbole de la mort est représenté par l’association de la viande et du portrait du pape, formant ainsi une horrible métaphore de solitude et du nihilisme qui renvoie au « représentant du Dieu mort » tiré du Zarathoustra de Nietzsche. Les deux moitiés du bœuf évoquent des ailes, des ailes de l’ange de la mort. L’œuvre de Bacon casse donc l’idée d’une vie spirituelle et immortelle, nous sommes de la chair, l’atrocité de la guerre nous la prouvée. L’idée du Dieu mort c’est donc l’idée que le corps et l’esprit sont liés et que quand notre corps meurt, l’esprit aussi : c’est être matérialiste au contraire de spiritualiste. Nous ne sommes pas immortels. Le pape de Bacon illustre un peu le roi qui se meurt sur son trône d’Ionesco.
En réalisant ce que nous sommes vraiment, nous acceptons d’être nés ainsi. Des philosophes anciens avaient des méthodes pour accepter ce qui nous arrive. C’est le cas des stoïciens qui disent : « accomplir chaque action comme si c’étais la dernière ». Pour eux les hommes ne sont pas libres car des causes extérieurs qui ne dépendent pas de nous, conditionnent notre existence, tout nous échappe. Il est donc nécessaire de distinguer ce qui ne dépend pas de nous : la vie, la mort, la santé, la maladie, le plaisir, la souffrance, la beauté, la laideur, la force, la faiblesse, la richesse, la pauvreté, la noblesse, la base naissance, les carrières politiques. Il s’agit d’accepter ce qui nous arrive, les accidents de la vie car ceci est fait par le destin ou la Nature. C’est un peu l’absurdité de la vie. Mais il s’agit donc de porter un jugement de valeur sur les évènements qui n’accordent aucunes valeurs aux choses, qui nous sont indifférents, qui jugent les objets dans leur réalité. Pour consentir à l’ordre de la nature, il faut représenter à l’avance les difficultés, la mort, penser souvent à la maladie, pour savoir qu’il ne sont pas encore présent et prendre conscience de la valeur infini de chaque instant. Cette morale stoïcienne est expliquée par Marc Aurèle dans le texte suivant.