Les exemples d'artistes cités ici pratiquent essentiellement la photographie et la video, pratique essentiel également dans mon travail. On va trouver un travail sur le portrait jusqu'à un travail plus onirique et de l'ordre de la sensation. Les images peuvent dénoncer, évoquer, montrer le point de vue de l'enfant ou de l'adolescent, la pression du monde sur lui et l'image que l'adulte cherche à avoir de lui. De la naivité qu'il procure, l'enfant cache un jeu démoniaque derrière lui.
Cette confrontation au monde que l'enfant rencontre ELLEN KOOI la concoit complétement.
L’imagerie très particulière d’Ellen Kooi a plusieurs origines. Tout d’abord, sa prédilection pour la mise en scène est sans doute issue du théâtre, milieu dans lequel elle a débuté son travail de photographe. Elle s’en inspire à l’évidence dans ses compositions et préfigure d’ailleurs celles-ci par des croquis, et, tel un metteur en scène, utilise ses modèles comme des acteurs. Le spectateur est souvent confronté à des personnages dans des positions/actions incongrues qu’elle implante dans un milieu urbain ou dans des paysages verdoyants, telles six femmes pêchant en arc de cercle sur un quai du bout du monde ou bien une femme appelant un interlocuteur improbable devant une bouche d’égout.
Par ces mises en situations quelques peu extravagantes, on peut également rattacher son travail à l’univers surréaliste. Ce penchant pour l’absurde et l’humour fait écho aux travaux de nombreux artistes hollandais tels ceux, par exemple, de Teun Hocks, qui par ses propres mises en scène, se situe en droite ligne de ce courant. On relève parallèlement, dans son œuvre, d’autres caractéristiques de la photographie néerlandaise contemporaine.
Ainsi, ses images, mélange de réalité et de symbolisme, dont l’unicité des compositions est achevée en explorant les possibilités du numérique, sont certainement liées au goût pour une photographie manipulée que l’on retrouve chez de nombreux plasticiens hollandais. Ces artistes, amoureux de l’étrange, tels que Inez van Lamsweerde, se font remarquer depuis quelques années par des manipulations oserions-nous dire plus « génétiques » que simplement numériques de l’image. Ellen Kooi quant à elle met à profit cette technique pour accentuer la « dé-réalisation » des mises en scènes et renforce ce procédé par l’usage d’éléments cinématographiques. D’une part, les prises de vues à la Hitchcock, souvent basses ou en contre plongée, imposent au spectateur une perception de la scène au niveau du sol comme s’il débouchait sur un monde dont il serait l’intrus tel Alice aux pays des merveilles. D’autre part, l’irréalité des scènes irisées de couleurs très particulières -qu’elles soient fluos, saturées voire criardes- contribuent à nourrir l’aspect cinématographique du décor. Enfin, les photographies, souvent prises en format panoramique confortent cette vision en cinémascope.
Ainsi, les photographies d’Ellen Kooi étonnent, intriguent, voire émerveillent. On se demande ce que l’on regarde, une image chimérique, parfois inquiétante ou bien une « vraie » image dont la mise en scène serait savamment orchestrée. Ellen Kooi joue constamment de ce principe et nous invite à rentrer dans son monde qui vacille entre rêve et réalité.
ENTRE REVE ET REALITE MIRIELLE LOUP va dans le même sens que Ellen kooi
Esquives est la représentation de l’univers mentale d’une enfant nommée Emilie. Dans des espaces naturels à première vue vierge de toute traces humaines, on retrouve la petite Emilie, cherchant un refuge à une réalité plus que pénible.
Je redécouvrais Emilie, je la relisais. Un enfant dort toujours la
nuit, même lorsqu’il a été humilié, même lorsqu’il a pris des coups. Un enfant dort toujours la nuit. Au matin, dès qu’il ouvre les yeux, l’enfant se lève. Il est joyeux. Même s’il sait déjà que la misère s’abattra sur lui tout à l’heure. L’enfant se lève et sourit. Il sourit d’être encore bien vivant, malgré tout. Il espère jusqu’au dernier moment des changements radicaux. Il est naïf. Il a la foi. Je regardais Emile.
Esquives est l’univers mental d’une enfant, Emilie, mis en scène dans des décors naturels majestueux. Dans cette série photographique, le paysage exerce une prédominance symbolique. Il entoure, enferme, soumet la fragile « figurine ». Mireille Loup est partie de l’idée suivante : chaque décor est une projection mentale d’Emilie qui lui permet d’échapper à une réalité pénible dont on ne sait rien a priori dans les images. La fillette semble subir le paysage plutôt que d’y prendre place. Les refuges qu’elle s’invente l’emprisonnent entre un imaginaire où elle ne parvient pas à s’épanouir et un monde réel hostile qui la rattrape. On pense alors à Lewis Carroll et de même qu’Alice rapetisse ou grandit dans le décor, Emilie n’est pas non plus en rapport d’échelle avec le paysage. Un décalage qui vient là encore renforcer l’illusion onirique.
Emilie paraît tour à tour abandonnée dans les proportions irréelles d’un marais salant, immergée les yeux fermés dans un lac aux tonalités sanguines, absorbée dans un jeu sur les pierres plates d’une rivière obscure, piégée par les fumées d’une rizière enflammée, plantée comme un arbuste dans un champ d’obione, ou encerclée par la montagne qui semble se dresser autour d’elle.
Nocturnes ou les garçons perdus est un travail photographique qui s’inscrit dans le prolongement de la dernière série de l’artiste, Esquives.
Il propose des échappées nocturnes dans l’univers fantasmagorique de l’enfance. Deux « garçons perdus » vêtus de pyjamas voyagent la nuit dans un « Pays de Nulle Part ». Les ambiances nocturnes ressemblent davantage à des décors qu’à des paysages naturels : lumière et couleurs irréelles viennent participer à l’imaginaire, simulant pour certaines images un décor en carton-pâte de mises en scènes théâtrales.
Pour réaliser ces photomontages, Mireille Loup s’est inspirée de l’œuvre de James Matthew Barrie, Peter Pan. Dans ce conte qui fut d’abord une pièce de théâtre, les garçons perdus sont des enfants tombés de leur berceau. Si au bout de sept jours ils ne sont pas réclamés par leurs mères, ils atterrissent au « Pays de Nulle Part ». Pas de Capitaine Crochet cependant, ni de crocodile dans cette série photographique. Plutôt que de faire une illustration du conte, Mireille Loup a préféré reprendre les sources d’inspiration premières de l’écrivain : le décès accidentel et traumatisant d’un frère âgé de treize ans alors que James était petit garçon et qui a rendu sa mère inconsolable. Pour plaire à celle-ci, pour se faire aimer d’elle, James portait les vêtements de son frère aîné. Et dans sa douleur, sa mère croyait reconnaître le défunt plutôt que James. Celui-ci enviait à regret cet aîné qui n’aura jamais grandit et qui obtint plus de reconnaissance de sa mère par son absence que James par sa présence. Ainsi est né Peter Pan, un mélange entre James lui-même et ce frère perdu, un enfant qui refuse de grandir et qui fut d’abord un garçon oublié par sa mère, « elle referma la fenêtre sur lui ».
On ne s’étonnera pas alors que l’œuvre de James Matthew Barrie ait fait écho au travail de Mireille Loup, puisque l’absence et l’isolement sont des thèmes chers à la photographe. Dans Une femme de trente ans (1999-2001), l’héroïne cherche à retrouver le lien avec la mère, et les hommes qui y figurent sont flous ou pixellisés, absents donc de l’image. Dans son roman photographique Esquives (2002-2005), Emilie a perdu sa sœur aînée lorsque celle-ci est âgée de treize ans, et les images montrent une enfant esseulée dans des paysages majestueux.
Au travers de l’oeuvre de Peter Pan, jamais James Matthew Barrie ne fait étalage de cette souffrance. Elle est évoquée pour se transcender en une fantasmagorie.
Mireille Loup fait état de cette même pudeur dans la série Nocturnes ou les garçons perdus. On y voit deux garçons, l’un petit, l’autre pré-adolescent. L’aîné accompagne le plus jeune : il l’attend, le protège, mais il n’est pas le protagoniste principal. Souvent il est en retrait, dans l’ombre, de dos ou capuche sur la tête. Parfois, il est absent de l’image, laissant seul le plus jeune. L’artiste montre les choses sans les nommer. Elle laisse de côté les abandons visibles, les souffrances évidentes, et nous invite à une promenade dans l’univers de contes. Elle nous parle des rêves d’enfants, de leur poésie et nous rapporte un peu de notre enfance oubliée.
Pour continuer dans l'espace onirique et sensoriel je vais parler de Catherine Larre.
Des silhouettes, des visages dans la pénombre, des regards voilés, les images de Catherine Larré sont chacune une exploration délicate, subtile, de paysages mental, où les êtres sont comme des apparitions, fragiles, égarées dans un songe.
Parfois une chevelure au premier plan évoque cet état de conscience particulier, à la frontière de l’éveil et du sommeil, où, immobile on assiste impuissant au film mystérieux de nos rêves.
Sans doute dans ces photos le mystère tient-il aussi à cette lumière si singulière qui ne dévoile pas les choses, mais au contraire les trouble.
Diurne, elle fait irruption sur ces modèles pour irradier les corps, éblouir les visages, voiler l’image.
Nocturne, la lumière est si sourde que les regards peinent à émerger de l’ombre dont ils semblent être prisonniers.
Il y a quelque chose de l’ordre du surnaturel dans cet univers, pourtant ici rien de menaçant. On se sent plongé dans une lenteur particulière, mélancolique qui nous rappelle aussi nos rêveries d’enfance où l’inquiétude se mêle à une certaine douceur.
Catherine larré parvient à nous replonger dans ces sensations-là, elle nous entraîne à prendre le temps de sentir la chaleur d’un rayon de soleil, de s’émerveiller de la rosée qui perle sur une toile d’araignée, on se laisse bercer par cette eau caressante, en humant les yeux mi-clos un bouquet d’Iris. Le temps se dilate, des instants suspendus, en silence avec un petit parfum d’éternité.
(Olivier Panchot)
http://www.catherinelarre.com/index.html
Yveline Loiseur va s'intérresser également à la lumière mais surtout à la famille où l'enfant entre ses parents ne paraît pas être vu. Pensif et pur son esprit est une reflexion sur ce qu'il voit et découvre.En soustrayant une partie du corps au regard, celui-ci est peut-être davantage représenté paradoxalement. Une forme d’absence peut advenir avec le cadrage.
"Je recueille des postures, des qualités de lumières, des relations entre les personnages au niveau des matières de leurs vêtements, des attitudes des corps dans un carnet ou sous la forme de petits journaux. Je dessine l’image, et je prévois une séance de prise de vue."
"Ce qui me semble important ce sont toujours les résonances que l’intérieur peut avoir avec l’extérieur et que chaque événement provoque une rencontre avec la mémoire sensible du spectateur."
"Ce qui assez frappant dans l’exploration du réel que font les enfants, c’est le rapport qu’ils créent avec lui : un peu magique dans le contact avec les matières, dans l’enveloppement des corps avec les tissus. On retrouve l’utilisation des objets servant à créer un espace dans la danse contemporaine. Le geste crée l’événement. Les enfants explorent le territoire en prolongeant leur corps avec des prothèses comme les chaussettes qui deviennent le prolongement des bras. Cela transforme les bras et de ce fait la perception du réel. J’avais repéré ce geste et j’ai demandé à l’enfant de le reproduire pour faire une photographie."
"Dans cet univers, il y a cette idée de mêler une image singulière et une expérience ainsi que l’imaginaire collectif. Parfois cet imaginaire appartient à l’univers de la photographie, mais cela peut être l’univers de la danse ou de l’art contemporain. Pour cette image, j’ai pensé aux autoportraits au miroir ou à cette image de mains sur le miroir de Bruce Nauman"
"Cela fonctionne comme un souvenir, une précision vague : les gestes sont précis, mais on ne sait rien des sentiments ou des intentions des personnages, on est entre l’exactitude et l’indéfini. Cela crée une distance, c’est aussi l’avantage des personnages plutôt que des personnes. On retrouve cela chez Robert Bresson qui considérait ses acteurs comme des modèles et non comme des personnes agissantes. Il faut se défaire de l’expressif, de l’intention, du drame, du spectaculaire, du pittoresque, aller vers l’allusif, ce qui fait que l’on n’entre pas dans l’intimité du personnage. R. Bresson disait d’ailleurs que : « Le cinématographe, c’est l’art de ne rien montrer. C’est l’affaire d’ombre et de lumière. Il faut beaucoup d’ombre »."
Il s’agit plus d’un travail sur le groupe et le rapport de l’individu au groupe que d’un travail fondé sur la filiation.
"Le thème de l’enfance est délicat car il est souvent traité et servi sur le terreau de la sensibilité. En prenant de la distance par rapport au thème de l’enfance, on découvre l’envers du miroir et le côté névrotique de l’enfance. Les modèles sont littéraires, est-ce une tentative de jouer avec le genre de l’album de famille, de le pervertir ?
Oui, la question des genres en photographie m’intéresse : la photo de famille, de classe ou l’inventaire photographique… mais il s’agit toujours de pervertir, transformer, jouer avec les genres, car on n’est pas directement dans le portrait, ni dans l’autobiographie ou l’autofiction ni même l’album de famille. J’essaie toujours de jouer avec les places attribuées."
Texte venant d'une interview voici le lien: http://yveline.loiseur.free.fr/photographie.php?page=yveline-loiseur-textes-detail&id_artiObjet
Cible privilégiée de la publicité, l'enfant est fréquemment représenté par l'art contemporain et notamment en photographie et vidéo. Si les œuvres rassemblées renvoient à la période de l'enfance, à son ambiguïté, à son ambivalence, aux joies et aux angoisses liées aux pulsions, les mises en scène affirmées, les manipulations numériques évidentes, ou exagérées, apparaissent comme des formes de résistances à une vision idyllique de l'enfance, aux projections des désirs des adultes et aux rôles qu'ils voudraient leur faire jouer.
L'étrangeté traverse aussi les travaux de Loretta Lux qui utilise les codes du portrait classique (pose, décor, apprêt), le logiciel de retouche se substituant à la palette, pour construire une image idéale de l'enfant. Celui-ci n'est pas représenté en tant qu'individu, mais comme sujet déshumanisé, aussi idéalisé qu'une poupée, dont les disproportions en font un monstre fascinant.
La petite fille dont le regard s’oublie dans une sorte de mélancolie pose soigneusement au centre d’une photographie et d’un paysage étrangement symétrique. Le ton laiteux du visage vaguement bouffi est un écho au moutonnement du ciel. On peut difficilement ne pas remarquer que la petite fille de The Rose Garden est vêtue très exactement des couleurs roses et vertes du jardin qui l’entoure. Ce vêtement est très soigné, lui aussi ; les plis tombent parfaitement, la boucle de la ceinture brille, les broderies accusent la symétrie. Mais la tête est ébouriffée.
Loretta Lux est une artiste née en 1969 à Dresde et qui a grandi dans cette ville de l'ex-République Démocratique Allemande. Elle y a étudié la peinture et s'est tournée tardivement vers la photographie.
Le choix de cette artiste va obligatoirement en incommoder certain(e)s, mais également en plonger d’autres dans le ravissement, l’émerveillement, le trouble. Car en effet, il se passe indéniablement quelque chose d’un peu inhabituel lorsque l’on commence à regarder ces images. Le dispositif est sobre : une figure, parfois deux, toujours des enfants (à quelques rares exceptions près), disposés sur un fond, également d’une assez grande sobriété. Il s’agira d’un paysage souvent discret, résumé quelquefois à une simple ligne basse et répétitive, ou d’un intérieur rigoureux et dépouillé. Les sujets posent apparemment très simplement. Quelques accessoires apparaissent parfois. Alors comment expliquer ce trouble ?
L’inquiétante étrangeté domine. Nous avons sans cesse l’impression de faire face à des individus proches et lointains, réels et fabriqués, à la fois. Les enfants photographiés sont de vrais modèles qu’elle sollicite dans son entourage. Elle les contraint à adopter des poses figées, académiques en refusant le naturel. Les visages évitent systématiquement le sourire ou la moindre expression qui traduirait une proximité de pensée ou tout simplement un échange affectif. Les regards sont absents ou ailleurs.
Loretta Lux va habiller ses modèles comme on habille des poupées. Ces vêtements un peu empesés, d’une autre époque, d’un charme un peu fané, semblent être là pour que les enfants les habitent. Puis loretta Lux va installer ces "poupées" , qu’elle aura préalablement très légèrement déformées numériquement, sur des fonds importés qui seront des paysages épousant la couleur de ses sujets ou des intérieurs factices travaillés de la même façon. L’élargissement léger de la taille de la tête ou des yeux, le rétrécissement discret du corps ou de l’envergure des épaules vont conférer à ces modèles une allure étrange.
Loretta Lux se situe à la marge. Le monde dans lequel elle a vécu (son paysage mental), sa connaissance des maîtres anciens, mais aussi de l'esthétique du réalisme socialiste qu'elle a fréquenté, doivent contribuer vraisemblablement à l'émergence de formes proches d'une sorte d'enchantement désenchanté.
Et ce corps poupées, idéalisé, parfait sans le moindre défauts cherche à dénoncer l'image hypocrite que l'on utilise chez l'enfant. Derrière cette image pur ce cache la monstruosité humaine et adulte.Alain Delorme va jouer de cette image, denoncant dans la série "little dolls" le jeu hypocrite de la publicité.
Inspirée de l'esthétique publicitaire, la série Little Dolls porte un regard à la fois ironique et inquiétant sur l'identification des jeunes filles aux stéréotypes féminins occidentaux, dont la poupée Barbie, depuis plus de soixante ans, est devenue l'icône commerciale. Véritable incarnation des fantasmes de la société de consommation contemporaine, jouet médiatique et planétaire, Barbie est aujourd'hui la poupée la plus vendue au monde et, par conséquent, un des principaux objets de projection identitaire des petites filles.
Aux Etats-Unis, les "Miss beauty Children", concours de beauté pour enfants et adolescents, sont à l'image de ce phénomène. Lors de grandes cérémonies médiatiques, soutenues ou contraintes par leurs mères, des jeunes ou très jeunes filles défilent, maquillées, coiffées comme des poupées, devant en adopter les tenues, les robes, les mimiques, les traits. Le "modèle Barbie" devient alors l'avatar d'une société qui, en faisant d'une poupée de plastique le symbole d'une féminité, distingue de moins en moins le faux-semblant de la réalité...
Dans les images d'Alain Delorme, le mélange entre jeunesse innocente et objet commercial, dénonce la standardisation et l'assujettissement des corps, des sourires, des regards. Peaux lisses, sourires et attitudes forcées sont contraints par une main toujours présente. À la fois fillettes, femmes et poupées, les Little Dolls ouvrent la voie à un futur possible et inquiétant où l'enfant, au prix de transformations plastiques, risque de devenir un véritable objet, maniable et transformable à souhait. »
Pas d'exigences esthétiques
Alain Delorme a donc "casté" autant de petites filles entre 3 et 6 ans qu'il pouvait trouver, en faisant appel à ses relations, à ses collègues de travail de l'AFP, où il officie régulièrement comme retoucheur d'images. "Je n'avais pas d'exigences esthétique et la plupart du temps, je ne connaissais pas les enfants, je les découvrais au moment de la prise de vue", précise-t-il.
Beauty children
Une prise de vue aux rituels extrêmement codifiés. "La petite fille n'était jamais maquillée, je la plaçais devant un drap tendu face à un gâteau le plus coloré possible, acheté dans la boulangerie la plus proche de son domicile. Seule contrainte : le choix des vêtements qui devaient être en phase avec les couleurs du gâteau. Enfin, je souhaitais qu'il y ait toujours la présence d'une main adulte dans le décor. C'est une façon de dénoncer les beauty children et la pression des parents."
Un masque de Barbie
Une fois l'enfant saisi en une cinquantaine de clichés, Alain Delorme pouvait alors composer son image. "J'ai acheté de très nombreuses Barbie, de tous les styles, et j'ai créé des masques à partir de leurs visages en effaçant les yeux, le nez, la bouche et les cheveux mais pas les sourcils. J'ai donc appliqué l'un de ces masques à toutes les petites filles photographiées." Ce qui leur donne l'air maquillé et inscrit leur physique dans une norme aseptisée que cherche à dénoncer le jeune photographe.
Féminiser à outrance
"Ensuite, j'ai refait le nez de tous mes modèles, parfois modifié la structure du visage pour qu'il rentre dans le masque de Barbie et j'ai gommé leurs bonnes joues d'enfants avec pour seul objectif de les féminiser et de les rendre plus adultes", explique-t-il avant d'ajouter, "J'ai laissé parfois des défauts pour dire qu'on ne peut jamais totalement effacer le côté humain de ces enfants qu'on voudrait tellement parfaits."
Déjà liftées
Au final, Little Dolls se révèle une série photographique extrêmement dérangeante qui nous présente 21 petites filles qu'on dirait déjà liftées. 21 petits regards parfois tristes, parfois soumis, parfois artificiellement joueurs, plantés dans un regard pop en Technicolor qui renforce encore un peu plus le malaise ambiant.
Ce monstre Santeri Tuori va aussi le déveloper, travaillant l'image video, le portrait de l'enfant est hybride, change, se transforme comme si derrière ce petit visage se caché un être mutant perdant son innoncence et donc apparaissait comme un être démoniaque.
Les vidéos de Santeri Tuori interrogent la relation entre le portrait, la photographie et la vidéo : un portrait est-il le reflet de l’identité ou une image créant un monde nouveau?
Les images de santeri TUORI apparraissent en premier dans la vidéo de l'exposition ci dessus.
Pour poursuivre dans le domaine de la vidéo, je vais parler de MARIA MARSHALL qui utilise l'image de son fils pour parler de l'enfant. C'est une part d'intime qui est exposer en l'utilisant, c'est aussi sa vision de mère qui est montrer. Les vidéos de Maria Marshall ne sont pas expressément autobiographiques, bien que ses deux fils jouent souvent les rôles principaux.
L'artiste nous plonge dans le monde de l'enfance, prétexte pour évoquer des inquiétudes d'adultes. Au-delà de la séduction immédiate des images, on ne peut s'empêcher d'avoir des sensations de malaise. Malaise insidieux provoqué par l'angélisme de ces visages innocents confrontés à des situations d'adultes.
Ainsi, l'artiste aborde plutôt les thèmes fondamentaux de la maternité, de la socialisation et de l'expérience de la vie. Sa démarche rend tangible ce domaine incertain entre imaginaire et réel où les angoisses d'une mère face à son enfant sont amplifiées. Son questionnement est toujours douloureux, même si ses réalisations sont d'une extrême douceur, presque veloutées.
De références bibliques en tableaux baroques, Maria Marshall va plus loin qu'une simple projection de ses angoisses. En se penchant sur le monde de l'enfance, elle questionne notre société. Quelle est la place de la femme dans la société ? Quels sont les dangers de la vie pour un enfant aujourd'hui ? Quelles valeurs inculquer à l'enfant ?
Maria Marshall crée des métamorphoses ramenées à l'essentiel (où le bien et le mal se défient constamment), de brefs récits mettant en œuvre des moyens cinématographiques et adoptant une grande rigueur de mise en scène, au service d'un unique objectif : « séduire par la densité ». Les films ne durent que quelques minutes, mais montés en boucle, ils acquièrent un aspect hypnotique.
When I grow up I want to be a cooker
1998
Projection simple, couleur, caméra originale : 35 mm
19:00 min. (boucle)
Edition de 10
Ce film a marqué le début de la carrière internationale de Maria Marshall. Le titre est repris d'une phrase prononcée par son fils, Jake, âgé de deux ans à l'époque.
Filmé en boucle en train de fumer une cigarette - image crééé grâce à l'emploi d'effets spéciaux - le petit garçon disparaît dans la fumée pour laisser place à un espace blanc.
I should be older than all of you
2000
Projection simple, sans son, couleur, caméra originale : 35 mm
6:08 min.
Edition de 5
La vidéo présente un petit enfant aux yeux clairs allongé dans une boîte minutieusement compartimentée, dans laquelle glissent des serpents. Bien que cette image soit le résultat d'un laborieux montage, la juxtaposition de l'enfant avec les serpents mouvants est désagréablement convaincante.
Don't let the T-Rex get the children
1999
Projection simple, sans son, couleur, caméra originale : super 16 mm
2:00 min.
Edition de 10
Conçue entièrement en mouvement ralenti cette vidéo montre un petit garçon à tête rasée. Il est filmé d'en haut dans une cellule capitonnée faite de velours et dont le couvercle est enlevé. À un moment la caméra effectue des zooms avant et arrière rapides, de sorte que le visage du garçon apparaît en plein écran et semble être très près des spectateurs. Le spectateur se trouve face à un visage complètement inexpressif. Un trouble s'installe devant ce visage semble de ce moquer de nous.Don't let the T-Rex get the children
1999
President Bill Clinton, Menphis, november13, 1993
2000
Projection simple, son, couleur, caméra originale : super 16 mm
9:10 min.
Edition de 5
Le film montre deux garçons ouvrant une centaine de cadeaux, au fur à mesure la chambre se vide. Le film retravaillé, évolue et ne montre plus à la fin q'un enfant dans la pièce.
La scène a lieu dans une maison traversée par un flot de lumière, qui ressemble à la Maison Blanche.
Raphael prononce le discours de Bill Clinton, dans lequel il s'excuse auprès des dirigeants religieux, après la révélation de l'affaire avec Monica Lewinsky
Maïder Fortuné aussi utilise la vidéo avec une intuition liée à son expérience du corps et de la performance. Un corps ouvert, disponible, flottant, qui capte et retransmet ce qui le traverse du monde, avec poésie. Son geste vidéographique, comme son geste corporel est d'une précision qui ne trompe pas et l'inscrit déjà dans la lignée de cette génération de vidéastes que les critiques d'art français défendent avec ferveur.
Dans la vidéo
Cette vidéo dévoile une innocence inquiétante et fantasmagorique liée à l’utilisation d’un lent travelling à la lisière d’un étang ainsi que l’apprentissage de fées en herbe.
La bande son ajoute à la dramaturgie de la pièce le souffle de la magie.
Photo argentique couleur-édition de 5 « playing dead 2 » 100x100 cm – 2003 –
Dans ces photographies, Maïder Fortuné figure le corps tel qu'il est représenté dans la peinture classique; leurs compositions se calquent sur l'iconographie religieuse que des petites filles dessinent en filigrane. L'une à la peau blanche, marque la domination des sociétés occidentales sur les pays pauvres écrasant et asphyxiant celle à la peau noire.
En utilisant ici la photographie, qu’elle privilégie comme support, Maïder Fortuné détourne l’objectif de son propre corps vers celui des deux amies fillettes. Fortuné demande à ses jeunes modèles de feindre la mort sur le lit parental d’une des jeunes filles et ce, face à l’objectif photographique. En image figée, la scène devient une rencontre déconcertante avec la mort. Ces deux petites filles vêtues de très belles robes aux couleurs vives prennent leur rôle au sérieux. Absorbées par le jeu auquel elles se prêtent, elles semblent pénétrer un monde à part, un ailleurs.
Elles oscillent entre le monde du réel et celui du fantasme, un lieu qui échappe à nos regards. On ne sait plus si elles personnifient la mort ou si l’une prend le rôle de l’être mort et l’autre de son âme, comme le suggère si bien la photo Playing Dead N°1. La froideur de leurs regards et la sérénité de leurs visages proposent une impénétrabilité certaine.
Des regards lointains—pourtant pleins de sagesse— nous empêchent de pénétrer leur monde. Leurs gestes et poses insolites sont inconcevables dans ces lieux empreints d’autorité. Malgré le fait qu’elles soient captées en avant plan, elles s’isolent volontiers de nos regards. « Quoi qu’elle donne à voir et quelle que soit sa manière, une photo est toujours invisible : ce n’est pas elle qu’on voit ».1 Nous voilà revenus à la surface de l’image, un lieu à la fois transparent et opaque. Au-delà de cette surface, plus rien ne nous est donné à voir.
TOTEM vidéo 10’ 2001
Un gros plan de visage de cinéma en noir et blanc effectue un mouvement de bas en haut de l’écran évoquant le sautillement d’un jeu de corde ou de marelle, plus ou moins ralenti. Le motif subit des variations tout au long des dix minutes que dure la séquence : variation du rythme du mouvement du corps et variation des mouvements internes à l‘image. Le ralenti évolue peu à peu en scansions qui décomposent le défilement fluide en images presque fixes ; celles-ci « déteignent »les unes sur les autres par effet de filé, de rémanence, défigurant progressivement le visage jusqu’à laisser apparaître fugitivement le squelette qui le soutient. La jeune fille et la mort.
« C’est le génie propre à la femme et son tempérament. Elle naît Fée. »
Jules Michelet
L'image de la femme c'est à l'adolescence que les jeunes filles vont la subir et c'est ce que JULIA FULLERTON BATTEN va dénoncer.
Une photographe allemande très talentueuse mélangeant un univers décalé, et une majorité de mises en scènes de la vie courante.
Sa série de photo “Teenage Stories” est sa vision d’Alice in Wonderland dans la vie de tous les jours.
Julia Fullerton-Batten provoque le spectateur par une narrativité esquissée mais non développée. Les couleurs sont sourdes, hormis une touche colorée ici ou là, les vêtements et lumières recherchés, et les modèles adoptent une attitude ambiguë et tendue, déterminant une atmosphère visuellement et émotionnellement bizarrement aliénée. Ses images combinent la perfection technique des photos publicitaires, leur apparente lisibilité immédiate, l'évidence de leur composition, et pourtant leur message est pour le moins ambigu. Les personnages si naturels et inoffensifs dans leur jeunesse se retrouvent face à eux-mêmes. Le monde attaque cette beauté pâle et fragile, attaque à la manière d’un jeu avec des dangers de la forêt et de la ville urbaine, avec des escargots et des fusils en plastique. Leurs attitudes figées et craintives font arrêter un instant et y réfléchir.
Ces photos ne s’imaginent pas comme des moments uniques ou décisifs. La photographe transforme des souvenirs en images abouties et capte un instant de passage de l’enfance vers l’age adulte.ne reproduit pas les incidents ni les événements. Elle explore un état d’esprit qui est intéressant précisément parce qu’il s’ignore. Que ce soi en raison d’une certaine maladresse, des changement hormonaux ou simplement de la charge émotionnelle qui s’ajoute à la masse des nouvelles choses que les adolescentes doivent traverser, les jeunes filles de Julia Fullerton-Batten sont en instabilité perpétuelle… »
Dans Teenage Stories, le regard de Julia Fullerton-Batten est résolument braqué sur les jeunes filles. À travers ses clichés, la photographe allemande nous convie à un voyage au cœur de l’adolescence au féminin. Les compositions sont souvent complexes, mais jamais factices. Les modèles évoluent au milieu de maquettes miniatures, tels des Gullivers féminines désenchantées, comme pour mieux exprimer leur désir d’évasion dans un monde trop conventionné. On reconnaît la patte de Julia Fullerton-Batten qui a beaucoup travaillé avec des agences de publicité et des campagnes de presse. Elle est toujours entourée de plusieurs assistants et collabore uniquement avec des modèles amateurs.« Peu de sujets sont davantage photographiés que les jeunes filles ou les jeunes femmes. Nous vivons dans une société qui semble parfois gouvernée par les photos de femme. »Direction des sujets, maîtrise technique et sens de la composition sont les ingrédients de cette œuvre singulière dans un domaine pourtant surexploité. Le monde haut en couleur de Julia illustre avec justesse la détresse des adolescentes, dont la vie n’est pas rose tous les jours.
Les modèles d’Hellen van Meene sont presque toujours des adolescentes chez lesquelles prédomine une certaine ingénuité. Leur féminité sensuelle transparaît parfois à travers leur pose ou leur regard. Les photos révèlent surtout l’incertitude identitaire des jeunes filles.
Hellen van Meene photographie des filles. Bien que celles-ci diffèrent en âge, elles semblent toutes être au même stade de développement. Elles ont atteint le seuil à partir duquel une fille devient femme et de la prise de conscience de ces changements. On pourrait dire que la photographe Hellen van Meene est la lépidoptère de la puberté. Elle capture ces instants subtils où ces « papillons » sont libérés de leur cocons. L’analogie s’arrête toutefois ici, car un papillon n’émerge qu’une seule fois de son cocon. Il est incapable de répéter le processus, d’adopter une autre couleur ou un autre motif.
Hellen van Meene choisit des « modèles » avec lesquels elle a la possibilité de retourner à ces instants fragiles de métamorphoses. Ensemble, elles prolongent la transition un peu plus loin. Dans un environnement étudié, ses sujets deviennent les filles qu’elles ont été où qu’elles auraient pu être. Les filles peuvent également refléter la personnalité projetée de la photographe.
Lorsqu’on y regarde de plus près, les portraits photographiques apparemment pris instantanément sur le vif, sont en fait le résultat d’un positionnement étudié, d’un arrangement minutieux et surtout d’une sensibilité indéniable du moment juste. Les vêtements, l’expression, la pose, tout concourt à produire cette image « parfaite ».
La performance est aussi belle que dérangeante. Belle, car on peut se délecter de la qualité photographique, comme la lumière délicatement posée, la texture des vêtements ou la pose du modèle. Les photographies s’approchent d’une qualité de peinture. C’est comme si des modèles d’Ingres, Delacroix, Tintoret ou Bellini resurgissaient à travers elles.
Néanmoins, un sentiment de malaise s’insinue lorsqu’on observe le bras d’une jeune fille couvert de bleus, l’obésité d’une autre, les boutons, les regards fixes et vides, l’agressivité refoulée. Tout bout sous la surface. L’apparence immaculée ne préserve pas l’œil d’être attiré par les griffes et les bleus. La qualité pénétrante de ces tensions sous-jacentes donnent aux photographies leur ambivalence tendue. Le papillon émergent laisse une traînée derrière lui… Comme disait le poète Leo Vroman : « La création blesse » (Christel Vesters)
ANGELA STRASSHEIM
"Mes six ans de photographie médico-légale ont influencé de façon indéniable ma manière de photographier ma famille catholique évangéliste. En tant que sujet, ma famille est traitée avec la froideur qui caractérise l'observation clinique. Les intérieurs pastel impeccables et édulcorés des maisons des classes moyennes et aristocrates m'attirent. Je travaille avec des appareils grand format et un éclairage professionnel pour capter le maximum de détails dans le cadre et sur les visages. Dans la série Left Behind (Laissé derrière), je me suis intéressée à la manière dont les valeurs religieuses s'immiscent dans les gestes du quotidien. Le titre fait référence à ces vies « damnées » selon les croyances de ma famille et aux traces persistantes de la vie après le décès.
Mon travail décrit l'influence des contextes culturels sur les vies. Grandir dans une famille très pieuse en étant une femme du Middle West américain m'a donné un certain point de vue.
Dans la série Pause, mon approche conceptuelle et stylistique est similaire, mais je me suis concentrée sur les relations père/fille. On y trouve la même fascination pour les tons acidulés et la perfection. Dans ce projet, j'invite encore davantage le spectateur à participer aux moments dits ordinaires mais fondateurs de nos vies. Certaines des images les plus récentes ont été prises au terme de cinq mois passés à photographier la vie d'un petit campus du Minnesota. Je voulais saisir l'influence extérieure des amis et de l'exacerbation du contact.
JULIA PEIRON
Les portraits de Julia débordent des émotions d’une jeune femme en pleine puberté. „Comment puis-je trouver une réponse à la question de l’individualité dans ce vertige d’images, de rôles sociaux à jouer, de perceptions de soi et du monde intérieur?“ Voilà ce sur quoi ses images semblent constamment s’interroger.
Mais Julia cherche surtout à guider le spectateur à travers des sentiments corporels essentiels qui ne se laissent pas forcément traduire par des mots. Le titre Violet Vertigo, déjà ambivalent en soi, devient tout un programme. On peut faire l’expérience de l’essence d’un état d’esprit ou du corps grâce à la musique ou la peinture, mais rarement au moyen d’un document photographique proche de la réalité. L’artiste y aboutit cependant en s’aidant du traitement d’image adapté.
Elle fait subir à ses clichés argentiques des traitements d’images numériques et assemble ainsi de manière fascinante la photographie documentaire et la mise en scène. Les fonds se perdent dans le monochrome et la perspective centrale traditionnelle du média disparaît grâce â des techniques de collage informatique. C’est alors une image absolument unique qui est créée, complètement libérée du facteur temps photographique.
LAURA HENNO
Ceux qui ont déjà assisté à une éclipse totale de soleil se souviennent de ce moment à la fois inquiétant et fascinant qui précède l'arrivée de l'obscurité : les animaux se taisent et s'immobilisent, tout semble s'arrêter et attendre. On éprouve un sentiment similaire devant les photographies de Laura Henno, l'impression que le temps est suspendu, figé, et que, dans cet entre-deux, les êtres sont livrés à une force invisible et mystérieuse.
Ce sont des adolescents ou de très jeunes gens, isolés dans leur rêverie ou soudainement immobilisés par quelque chose qui nous échappe. Ils nous apparaissent clairement comme des personnages sortis d'une narration. Mais nous ne saurons rien de leur histoire, de ce qu'ils regardent, de ce à quoi ils pensent. Et, parfois, nous ne connaîtrons même pas leur visage car ils nous tournent le dos ou sont happés par l'obscurité. Les photographies de Laura Henno sont en effet souvent construites sur des contrastes très marqués de clair-obscur, le personnage étant seul dans la lumière, et ce qui l'environne délibérément laissé dans l'ombre. Lorsque toute la scène est éclairée, comme dans Freezing où la lumière blafarde recouvre le paysage d'une blancheur glaciale, demeure ce qu'on pourrait appeler « le mystère du hors champ », la conviction que quelque chose est là, dont nous ne savons rien, qui exerce sur le personnage une invincible attraction.
Ces photographies ne sont pas des portraits, elles ne se préoccupent pas de psychologie. Laura Henno met en scène des personnages dans des environnements attentivement choisis dont ils semblent indissociables : ils s'y abandonnent, se laissant aspirer et peut-être engloutir par l'obscurité ou par l'eau épaisse et trouble.
On devine dans ces images le lent travail effectué par la photographe avec chaque modèle pour trouver la position juste du corps, préciser le mouvement d'une main ou celui de la nuque et choisir l'expression d'un regard. Car c'est la tension du personnage vers une présence invisible pour nous, qui, à son tour, captive notre regard.
La qualité des photographies de Laura Henno est sans doute due à ce qui est à la fois son immense modestie et sa fabuleuse ambition : ne pas prétendre saisir, dans un « instant décisif », ce qui serait le caractère, « l'âme » d'un personnage, mais, en sachant dépasser l'anecdote et laisser dans l'ombre ou le non-dit, parvenir à conserver intact le mystère des lieux et des êtres.(Marie-Thérèse Champesme)
Katinka Lampe
Depuis quelques années, Katinka Lampe peint et dessine essentiellement des portraits. Ceux-ci ne sont pas seulement des images de personnes spécifiques, bien que l’artiste se base sur des photographies, mais ces portraits sont bien des reconstructions d’une image bien particulière. Les caractéristiques personnelles des modèles sont abandonnées, et elle peint surtout des enfants, dont les traits du visage ne sont pas encore marqués. Chaque peinture a sa propre réalité.
Katinka Lampe se base sur des photographies, elle en abandonne certains éléments ou au contraire se focalise dessus ou encore elle les combine entre eux, issus de différentes photographies, créant une toute nouvelle image. De cette façon, Katinka Lampe cherche la limite entre l'abstraction et la figuration et amène une distance, créant l'illusion. Ses portraits semblent non conventionnels et artificiels, avec un trop gros nez, trop de maquillage ou des cheveux telle une perruque ; ils sont volontairement imparfaits. Le message est que nous regardons la peinture sur la toile et que toutes nos émotions et nos sensations concernant les modèles représentés n’ont pas lieu d’être. Les couleurs, la forme et la composition sont dès lors très importantes dans son travail. La perception est de l’interprétation et est influencée par notre manière de penser.
Ce qui marque l'enfant c'est le souvenir, c'est ce que la photographe Marion Poussier travaille en reprenant des lieux uniques à l'adolescence ainsi que des portraits.
"Cette série est née du souvenir des quelques étés que j'ai passés en colonie de vacances étant adolescente. J'ai toujours eu pendant ces vacances le sentiment de vivre des moments forts, rares et précieux. La colonie était une sorte de parathèse dans le reste de ma vie. Personne ne me connaissait, je pouvais alors "jouer le rôle" que je voulais. J'avais le sentiment d'être coupé du reste du monde pendant deux ou trois semaines. La temps, suspendu, et l'espace, clos, prenaient une autre dimension. Chaque jour comptait. Les premiers surtout. Ceux où l'on cherche celles et ceux qui nous ressemblent où à qui on aimerait ressembler. Ceux où l'on l'on se fie à l'apparence pour nouer des amitiés nouvelles. La question du "paraitre" et de la "représentation", inhérente à l'adolescence est au coeur de ce travail. Mais si ces images nous montrent le côté théatral des attitudes des adolescents c'est aussi leur propre personnalité qui transparait, fragile et vulnérable. "
Allessandra sanguinetti utilise des lieux spécifiques également. Dans la série ci dessous c'est l'Argentine qui l'intéresse.
La pensée des jeunes filles est alors de vouloir plaire, on porte les habits de maman, on se maquille, se fait belle. Les défauts du corps, l'imperction ajoute du réalisme et la beauté de l'etat adolescent.
“J’ai finalement préféré m’intéresser aux fruits de leur imagination, particulièrement féconde. Elles étaient à l’âge où l’on sort de l’enfance et où les rêveries, les peurs et les affabulations s’entremêlent pour nourrir l’espace personnel. J’ai voulu faire avec elles des images qui cristallisent ces pensées et ces désirs qui les occupaient en permanence.”
Les photographies de la série «Les aventures de Guille et Belinda et l'énigmatique sens de leurs rêves» sont étonnantes.
Des corps. Des corps dans des lieux. Des corps dans des paysages. Cette notion du corps et de ses exubérances, ses imperfections, ses approximations et ses déambulations est très présente dans cette jeune génération d'artistes sur la terre d'Argentine. Je trouve cette série très proche du travail cinématographique d'une autre Argentine, quasiment du même âge (née en 1966) : Lucrecia Martel. C'est elle à qui l'on doit ces deux très beaux films que sont La ciénaga (2000) et La niña santa (2004).